Je voulais commencer cet article par une question qui se retrouve indirectement au coeur de mes oeuvres: » Peut-on vraiment choisir entre l’arbre ou la pirogue? » L’existence, le mouvement et l’enracinement; ce sont des mots qui se fréquentent, mais aussi, qui déclenchent un inconfort et une dualité ne semblant jamais arriver à destination. En vous posant cette question, je souhaite créer un lieu d’inspiration et de rassemblement pour ceux qui semblent vivre dans le même tableau que moi. Et pour les gardiens de la forêt, peut-être que vos racines et votre sagesse apporteront de la couleur à cette réflexion.
Revenons à la souche, se sentir tiraillé entre l’arbre et la pirogue est une expression qui provient d’un mythe mélanésien de l’Archipel de Vanuatu. Ce mythe exprime ceci:
« Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est-à-dire de l’enracinement, de l’identité et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre; jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue ».
D’après ce mythe, les hommes ressentent une indécision envers le fait de s’établir dans un seul lieu, entouré de relations stables ou celle de quitter, afin de connaitre plusieurs vies, de rencontrer d’autres cultures et d’accumuler plusieurs destinations, histoires et expériences. Mais est-ce vraiment une sensation que tous expérimenteront un jour ou l’autre? Ne pourrait-il pas y avoir une autre explication que celle d’invoquer la fuite du grand voyageur? Il m’apparait trop facile et exutoire d’établir un tel verdict. Et si c’était un besoin viscéral? Disons, quelque chose de plus instinctif chez ceux qui pourraient avoir conservé des gênes de nomades?
Ce qui me fascine dans ce mythe c’est aussi la matière, car l’arbre et la pirogue sont du même bois, de la même essence. Après tout, quel artiste ne s’intéresse pas à la matière et à la création? Bien que l’arbre et la pirogue sont en bois, leurs effets divergent. L’arbre se veut par exemple, rassurant et réconfortant alors que la pirogue est charmante et envoutante. Certains auront peut-être peur de la prendre et de couler; d’autres y verront un fantasme à ne jamais assouvir; certains l’associeront à l’adrénaline et à leur soif de découvrir, d’autres voudront se perdent pour mieux se retrouver…. Sachant que les deux sont faits de bois et que leur essence est indissociable, peut-on vraiment choisir?
De façon ludique, je crois que l’arbre c’est mon refuge, mon corps et un besoin d’appartenance. La pirogue c’est l’école de la vie et le monde de demain; elle me permet de naviguer et de voyager à l’intérieur de ce que je suis. Cette réflexion pourrait évidemment voyager encore plus loin et rapporter plusieurs histoires et expériences… Qu’en est-il de vous, gens des arbres et gens des pirogues?